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 Interpellation du 03/06/08

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Situation de la coopération de la ...
Interpellation de Monsieur Philippe Fontaine, Député, à Madame Marie – Dominique Simonet, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Relations internationales Et à Monsieur Rudy Demotte, Ministre-Président du Gouvernement de la Communauté française sur:
"Situation de la coopération de la Délégation Wallonie-Bruxelles suite aux incidents diplomatiques survenus entre la Belgique et la RDC "


– Hier, le consulat belge de Lubumbashi a été fermé sur décision des autorités congolaises. Ce matin, c’était au tour de celui de Bukavu. La République démocratique du Congo a donc mis ses menaces à exécution Nous ne pouvons que regretter cette nouvelle crise sérieuse entre nos deux pays.

Ce n’est malheureusement pas la première. Du 27 au 30 avril dernier, se tenait à Bruxelles la commission mixte entre la République démocratique du Congo, la Communauté française, la Région wallonne et la Cocof, dans le cadre de l’accord de coopération signé en 2002. Au même moment, le ministre De Gucht se rendait en RDC et certains de ses propos suscitaient déjà un certain malaise.

Le 7 mai, en commission des Relations internationales, je vous interpellais, comme quatre de mes collègues, sur nos relations avec la RDC. J’étais loin d’imaginer que, pendant la mission du parlement de la Communauté française en RDC, à laquelle je participais fin mai, la situation allait encore évoluer défavorablement. Cette mission, particulièrement fructueuse sur le plan humain, nous a conduits à Kisangani.

L’accord de coopération signé avec le parlement de la Communauté française vise à renforcer les capacités et à améliorer les échanges avec les fonctionnaires et les députés provinciaux congolais. Si nous avons été très bien reçus par nos collègues de la province orientale du Maniema et des deux Kivu, nous avons également été confrontés à l’inquiétude que provoque chez les Congolais le refroidissement des relations diplomatiques entre nos deux pays.

En effet, M. De Gucht tenait en Chine, haut lieu des droits de l’homme comme chacun sait, des propos assez durs à l’égard des autorités congolaises. Par exemple : « Les 200 millions de dollars que nous vous accordons au titre de l’aide nous donnent un droit de regard moral sur votre politique.» Précisons que les millions de dollars en question restent sous le contrôle des coopérants belges et des ONG. Le gouvernement congolais ne reçoit rien lui-même.

Nous avons ainsi frôlé la rupture entre nos deux pays, après des incidents à répétition. Le ministre fédéral de la Coopération, Charles Michel, a réagi en estimant que nous avions « un devoir moral d’être utiles au Congo, aux gens qui y vivent et y souffrent ». En outre, il a estimé qu’il fallait que l’on cesse de jeter de l’huile sur le feu, précisant qu’entre la voie du laxisme et de la complaisance et celle de l’accusation et de la rupture, il existe une autre voie : la responsabilité. Le premier ministre Leterme annonçait, le 26 mai, son intention de procéder à une remise à plat de la politique belge envers la RDC, mais il n’en a défini ni les délais ni les contenus. Il s’agit de paroles d’apaisement qui, d’après la suite des événements, n’ont rien apaisé du tout. Je suis convaincu qu’il faut préserver des liens forts avec la RDC.

Pour la première fois depuis des décennies, les autorités congolaises sont issues d’élections démocratiques. Rappelons tout de même que c’est en grande partie grâce à la Belgique. Il s’agit d’une démocratie en construction, il serait stupide de rompre nos liens privilégiés, alors qu’il faut essayer d’aider les Congolais à reconstruire leur pays.

- Y a-t-il de la corruption au Congo ? Oui. L’administration fonctionne-t-elle mal ? Oui. L’armée et la police sont-elles peu efficaces ? Oui. Personne, pas même les Congolais, ne le nie. Faut-il pour autant reprocher à ceux qui ne sont élus que depuis deux ans de ne pas progresser assez vite dans le redressement d’un pays laissé à l’abandon pendant quarante ans et, surtout, de le faire aussi brutalement ? Je ne le pense pas. Après six missions au Congo depuis le début de mon mandat parlementaire en 1999, j’ai constaté que les choses évoluaient. Peut-être pas assez rapidement à notre estime, mais il faut se rendre compte de l’ampleur de la tâche.

Notre parlement a choisi une autre voie, modeste certes compte tenu de nos moyens limités, mais efficace sur le plan pratique. Certains d’entre nous et de nos hauts fonctionnaires ont mis la main à la pâte en animant, avec l’Université de Liège, des séminaires pratiques à destination des élus et des fonctionnaires des onze provinces de la République démocratique du Congo. Nous avons d’ailleurs insisté pour que participent à ces séminaires des élus de la majorité et de l’opposition, mais aussi des femmes.

Nous avons également insisté sur le fonctionnement démocratique de ces parlements. Ces séminaires clôturés, nous sommes arrivés au stade de l’évaluation. Comme l’a signalé Mme Jamoulle, nos collègues congolais attendent beaucoup de notre expérience du fonctionnement des assemblées démocratiques.

Les relations diplomatiques de la Communauté française feront-elles également l’objet de la remise à plat demandée par le gouvernement congolais et notre premier ministre ? Quelles sont les perspectives des accords de coopération qui nous lient à la République démocratique du Congo ? Y a-t-il eu des contacts à propos du Congo, entre fin avril et fin mai, entre M. De Gucht et ses collègues des entités fédérées ?

Madame la ministre, le 7 mai dernier, vous parliez « d’une concertation avec le pouvoir fédéral qui pouvait encore être améliorée ». Quelles pistes envisagez-vous pour que la Belgique parle désormais d’une seule voix ? En ce qui concerne plus particulièrement la crise de ces derniers jours, avez-vous pris des contacts avec vos collègues du gouvernement fédéral ? Avez-vous pris des initiatives personnelles vis-à-vis de nos partenaires congolais ? Dans l’affirmative, lesquelles ? Ces partenaires font-ils bien la différence entre l’aide et la solidarité des francophones belges et ce qui oppose la Belgique fédérale aux autorités congolaises ?

Le climat actuel risque-t-il de porter préjudice sur le terrain à ces « activités de niche » – ô combien importantes et appréciées – mises en place par la Communauté française ? Je pense en particulier aux projets de décentralisation vers d’autres villes que Kinshasa et Lubumbashi. Quel est l’avenir de notre délégation Wallonie-Bruxelles dont l’action est fort appréciée au Congo ? Nos relations avec le Congo se trouvent-elles à un tournant ? Des partenaires moins respectueux des droits de l’homme prendront-ils encore davantage de place à l’avenir ?

Si les moyens de la Communauté française sont limités, notre expertise est grande. Il ne faut pas abandonner le Congo. Nous devons essayer de trouver un ton plus juste entre exigence du respect des principes démocratiques, contrôle des dépenses belges et réponses concrètes aux nombreux besoins de la population congolaise qui attend beaucoup de nous et qui nous fait confiance.


Réponse de la Ministre: Marie – Dominique Simonet,

– Il est difficile de prendre la parole après ce que nous venons d’entendre. Je remercie les uns et les autres pour leurs interventions et leurs témoignages.

Je pense, à une exception près, que je qualifie de regrettable, que nous partageons, entre partis démocratiques et audelà des clivages politiques, la même vision et la même volonté de maintenir le Congo et son peuple au coeur de notre projet en tant que partenaires prioritaires. Lorsque vous m’aviez interpellée voici deux semaines, je vous avais fait part de mon refus d’entrer dans la polémique qui s’était installée après la visite, en avril, de MM. De Gucht, De Crem et Michel au Congo.

D’aucuns tentent de transformer les problèmes qui se sont manifestés sur le terrain en une polémique belgo-belge. Ce n’est pas cela que nous voulons. Ce qui nous intéresse, c’est précisément de maintenir notre action et la qualité de nos liens avec le peuple congolais. J’essaie de garder cette attitude aujourd’hui, alors que cette polémique s’est transformée en sérieuse crise diplomatique. Je déplore d’autant plus cette crise qu’elle était prévisible, donc évitable. Nous avons beaucoup investi ces vingt dernières années dans des relations partenariales de qualité avec le Congo pour ce qui relève de nos compétences.

Nous sommes progressivement montés en puissance, notamment en organisant, l’année dernière, l’événement Yambi, qui a eu un retentissement considérable et qui, dès à présent, produit des retombées à moyen terme. Ce n’est évidemment pas pour voir tous ces efforts de part et d’autre compromis par une crise diplomatique. Dès le lendemain de la décision du gouvernement congolais, j’ai pu préciser aux médias qui m’interrogeaient ma volonté de continuer à travailler avec le Congo.

Je souhaite que ce pays reste notre premier partenaire, avec pour objectif majeur, l’amélioration des conditions de vie de la population congolaise qui, je le répète, n’a toujours pas perçu le bénéfice des élections. Le Congo a réussi deux paris majeurs : mettre fin à dix ans de guerre atroce et organiser avec succès des élections démocratiques alors que certains observateurs en prédisaient l’échec. Nous sommes aujourd’hui au milieu du gué.

La paix n’a pas été rétablie partout. Nous avons fait allusion ici à la situation de femmes et d’enfants congolais victimes de bandes armées. Il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la situation. Quant à l’opinion belge dans son ensemble, je suis convaincue qu’elle reste très majoritairement acquise à la solidarité avec la population congolaise.

C’est pourquoi il est tout à fait contreproductif de blesser des dirigeants qui viennent d’être élus. Enfin, je ne vois pas ce que l’on gagne en ajoutant à ces tensions une querelle belgo-belge qui dévierait les discussions de son objectif ou serait animée d’arguments populistes. Comme vous, monsieur Galand, je ne vois pas en quoi les déclarations de M. De Gucht auraient amélioré la position internationale de la Belgique, amélioré la situation des Belges au Congo, ou nous auraient permis de mieux participer à l’amélioration de la vie des Congolais.

Je ne vois pas quels sont les objectifs positifs de ses déclarations. Quand on s’exprime, c’est pour obtenir des résultats. Or, quel que soit l’angle sous lequel je me place, je ne vois aucun résultat positif. « Je ne récuse pas le droit de regard, disait le président, ce que je refuse, c’est qu’une sorte de tutelle continue à s’exercer sur nous. » La même interview se terminait par une phrase qui annonçait la suite : « La prochaine fois, il y aura certainement un incident », concluait le chef de l’État congolais. C’était sans doute une manière d’appeler une rectification ou un infléchissement, qui malheureusement ne sont pas venus.

À ce jour, monsieur Elsen, aucun élément tangible me donne à penser que notre partenariat avec la RDC puisse être affecté par la crise entre le gouvernement congolais et le gouvernement fédéral belge. Pour m’en tenir aux faits et pour évi ter les supputations, la réunion de notre commission mixte s’est tenue la semaine qui a suivi la visite des ministres fédéraux au Congo sans que cela n’affecte en rien ni le haut niveau de la délégation congolaise ni l’excellent climat des travaux. À la suite de cette réunion, notre délégué à Kinshasa me dit que la mise en oeuvre de certaines missions a déjà commencé, ce dont nous nous félicitons.

À entendre les membres du parlement qui reviennent du Congo, je n’ai pas non plus l’impression que la mission des parlementaires de la Communauté française ait souffert de cette situation. Au contraire, me dites-vous, les attentes demeurent très importantes et les contacts extrêmement fructueux. Il est donc clair que notre disponibilité reste entière pour poursuivre sans désemparer la coopération avec le Congo.

Pour ma part, j’y serai particulièrement attentive. Nombreux sont ceux qui se mobilisent aujourd’hui par différentes voies, qui ne seront jamais assez nombreuses, afin que cette crise se termine. Je ne peux vous donner qu’une partie de la réponse, l’autre appartient aux autorités congolaises. Il n’y a évidemment pas eu de concertation entre les entités fédérées et le fédéral sur cette crise belgo-congolaise. C’est un euphémisme de dire que, de façon générale, ces concertations pourraient être améliorées.

Ce matin encore, j’ai eu l’occasion de présenter mon point de vue en commission réunie de la Chambre et du Sénat, au sujet de la Coopération au développement, sujet qui nous tient particulièrement à coeur. J’ai soumis à l’assemblée une série de propositions concrètes afin d’améliorer la concertation interne belge. Les propositions peuvent être variables. L’article 2.3 de la loi de 1991 prévoit que l’État fédéral a l’initiative de mettre en oeuvre des synergies entre les différents niveaux de pouvoir, le fédéral, les Régions, les Communautés, les provinces, les communes.

La coopération ressortit bien à l’État fédéral. La mise en oeuvre des synergies est donc de ses compétences. Dans le cadre de la modification de cette loi, il faudrait peut-être prévoir une obligation de résultat, une réelle concertation entre État fédéral et régions. J’en reviens à la crise belgo-congolaise. Certains évoquent la saisine de la Cipe ou du comité de concertation. Certes, nous le pouvons, mais je ne pense pas que ce soit la meilleure solution.

À supposer qu’une telle concertation ait lieu, il faudrait encore que le pouvoir fédéral tienne un discours unanime. Car c’est bien le gouvernement fédéral qui détient la solution. Comme M. Fontaine, je regrette que la Belgique ne s’exprime pas d’une seule voix, mais cette question ne concerne en rien le gouvernement wallon, ni celui de la Communauté française, dont la loyauté fédérale n’a jamais été prise en défaut dans ce dossier, bien au contraire.

M. Philippe Fontaine (MR). – Dans ce dossier, au moins, nous partageons le même avis. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, une meilleure concertation s’impose entre les entités fédérées et le pouvoir fédéral. Nos compétences nous permettent de mener des actions à l’échelon international, mais l’absence de concertation pose une série de problèmes.

La crise actuelle anéantit les efforts consentis ces dernières années pour rattraper quarante ans de gâchis dans ce pays. Le conflit dans lequel nous sommes engagés aurait pu être évité. Les actions que mènent la Communauté française, la Région wallonne et la Région bruxelloise en RDC doivent nous faire espérer le retour prochain à un dialogue.

Comme vous le savez, nous avions maintenu celui-ci durant les années difficiles qu’a traversé le Congo, alors que le pouvoir fédéral l’avait pratiquement abandonné en tant que pays prioritaire. Nous sommes toujours restés présents à Kinshasa.

J’espère que nous trouverons une solution à cette crise plutôt d’ordre psychologique. C’est chose possible si chacun y met un peu de bonne volonté. Dans les relations diplomatiques, en particulier en l’Afrique, il faut se garder d’humilier un chef d’État, surtout devant ses collaborateurs.