Parlement wallon

Questions orales

     

 Questions du 28/05/03

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Le plan de restructuration de la SONACA à  ... 
Question orale de Monsieur Philippe FONTAINE à Monsieur Serge KUBLA, Ministre de l'Economie, des PME, de la Recherche et des Technologies nouvelles concernant:
« Le plan de restructuration de la SONACA à Gosselies »


Jeudi passé, la direction de la SONACA, entreprise de construction aérospatiale située à Gosselies, a informé les syndicats de son plan de restructuration.
Suite à ce conseil d’entreprise particulièrement long, la procédure Renault a dès lors été enclenchée.
Selon mes informations, 270 travailleurs (191 ouvriers et 79 employés et cadres) seraient directement concernés pour un effectif global de plus de 1.700 salariés.
Si des prépensions ( qui concerneront une cinquantaine d’ouvriers et une vingtaine d’employés) et des incitants au départ « adouciront l’addition » pour certains, il apparaît que l’entreprise ne pourrait malheureusement pas éviter des désengagements par voie de non-reconduction de contrats à durée déterminée et de licenciements secs, (pour 128 personnes).
A ce désengagement de personnel étalé sur 3 années et qui débuterait dès le 1er juillet prochain, s’ajouterait aussi un conséquent chômage économique pour les trois prochaines années dans l’attente d’un retournement conjoncturel.
Celui-ci, via un système de rotation, devrait concerner une centaine d’ouvriers.
D’autres mesures seraient également prévues, à savoir : une révision à la hausse du temps de travail qui passerait à 38 heures/semaines au lieu de 35 heures/semaines, et ce sans compensation salariale, un gel des salaires pendant 5 ans (hausse limitée à l’index) et une « cure de minceur » radicale des avantages « maison ».
L’objectif affiché de la société étant de dégager un gain récurrent de 15 millions EUR par an sur les charges d’exploitation.
Outre la crise historique que connaît le secteur aéronautique (civil et militaire) depuis les attentats du 11 septembre, plusieurs éléments ont été mis en avant par la direction pour justifier l’ampleur de cette restructuration plan.
Parmi ceux-ci citons : les effets de la guerre d’Irak, la chute du Dollar par rapport à l’Euro (évalué à 30% en un an alors que la majorité des transaction du secteur sont libellés en dollar) la pression exercé sur les prix par les clients eux-mêmes en difficultés, la concurrence des pays de l’Est et de la Chine, sans oublier l’épidémie de SRAS…..
De plus, la SONACA doit aujourd’hui mobiliser des moyens financiers considérables qui selon la direction ne peuvent être garanti que par un niveau de cash-flow et donc de rentabilité suffisant afin de s’inscrire de plain pied dans les nouveaux programmes qui assureront son avenir ( tronçons de l’EMBRAER 170/190, des bords d’attaques de l’Airbus A 380, du programme de l’A 400M ou de celui du Facon 7X, etc…).
Certes cette mauvaise nouvelle était certes « attendue » depuis février et je vous avais d’ailleurs déjà interrogé sur ce point lors d’une précédente séance.
Cependant son ampleur a étonné les syndicats qui ont dénoncé sa démesure.
S’ils ne nient pas la crise, il la minimise toutefois et insiste sur les efforts déjà fourni par le personnel depuis la restructuration de 1996.
Vendredi dernier l’annonce a d’ailleurs été suivie d’un mouvement de protestation et de grève spontanée.
Je ne reviendrai pas sur l’importance du pôle aéronautique pour la région de Charleroi, sujet sur lequel je suis déjà largement intervenu par ailleurs.
Je tiens cependant à souligner une nouvelle fois la qualité de la direction, des employés et des organisations syndicales des entreprises sur secteur.
J’ose espérer qu’une fois encore chacun gardera son sang-froid devant les difficultés qui s’annoncent et mettra toute son énergie à la sauvegarde d’un secteur qui reste j’en suis persuadé un secteur d’avenir.
La reprise étant attendue en 2006, il convient il me semble de ne pas hypothéquer les chances de nos entreprises de participer pleinement à celle-ci
J’aimerais maintenant, Monsieur le Ministre, vous poser les questions suivantes :
· Les informations les plus contradictoires circulent sur l’état de la production et sur les carnets de commandes actuels ?
Avez-vous des précisions à cet égard ?
· Avez-vous des informations plus précises à la fois sur la teneur exacte du plan présenté par la direction, sur la situation actuelle et sur la nécessité de ces licenciements ?
La pérennité de l’entreprise est-elle assurée ?
· Existent-t-il selon vous des solutions alternatives à celles présentées par la direction ?
· La direction et les syndicats devraient se revoir le 3 juin prochain pour un nouveau round de concertation Quelle rôle compte jouer la région - actionnaire largement majoritaire - dans les négociations qui s’annoncent ?
Une nouvelle intervention financière de la région étant exclue et les perspectives de renforcement de l’assise internationale compromise, vous aviez évoqué lors de ma précédente question une recherche de partenariats et une éventuelle mise en bourse de la société.
Où en est-on sur ce point ?
· Quelles sont selon vous les perspectives d’avenir de la SONACA et des autres entreprises du Cluster aéronautique ?
Réponse du Ministre Serge KUBLA
En effet, comme le relevait à titre liminaire le communiqué de presse émis jeudi dernier par la SONACA dans le cadre de la procédure « Renault », la construction aéronautique et spatiale européenne est confrontée à la plus grande crise de son histoire.
C’est en effet la première fois que les trois secteurs du marché (aéronautique civile, militaire, et domaine spatial) sont touchés en même temps.
Vous avez justement évoqué les principales causes de la crise actuelle : le ralentissement économique global, la peur engendrée par les attentats du 11 septembre 2001 et plus récemment la guerre en Irak et l’apparition du syndrome de pneumopathie atypique (SRAS) sont autant de facteurs qui se sont combinés pour faire chuter de manière drastique le niveau d’activité des compagnies aériennes, de telle sorte qu’à la fin 2002 le secteur du transport aérien présentait des signes alarmants, principalement aux Etats-Unis où les 7 plus grandes compagnies connaissent d’énormes difficultés, mais aussi en Europe et en Asie, région où on enregistre des baisses d’activité allant jusqu’à 50%.
A titre d’illustration, on estime aujourd’hui à près de 2.500 le nombre d’avions « parqués » par les compagnies de par le monde (contre 1000 avant le 11 septembre), ce qui signifie par ailleurs qu’en cas de reprise c’est à ce réservoir d’avions (parfois quasi neufs) qu’elles auront recours plutôt que de passer de nouvelles commandes.
Dans ce contexte, les quatre grands constructeurs que sont AIRBUS, BOEING, EMBRAER et BOMBARDIER ont enregistré des chutes d’activité allant de 15% à plus de 50%.
Sachant qu’AIRBUS et EMBRAER sont les deux principaux clients de la SONACA dans un secteur de la construction aéronautique civile qui représente plus de 90% de son activité, on devine aisément les répercussions d’une telle situation sur l’entreprise de Gosselies, qui a particulièrement souffert du ralentissement du brésilien EMBRAER (jets régionaux) qui représentait plus de 50% de son chiffre d’affaires en 2001.
S’ajoutent à cela la dépréciation du dollar face à l’euro (90% des contrats SONACA sont en dollars), la pression des clients sur les prix (qui n’est que la répercussion de la pression exercée par les compagnies low cost, principales acheteuses du moment, sur les constructeurs comme AIRBUS) et l’émergence de nouveaux concurrents de Chine et des pays de l’est pour la fourniture de pièces à faible valeur ajoutée.
Face à ces inquiétants constats, la SONACA a identifié les défis à court, moyen, voire long terme qu’elle doit relever pour assurer sa pérennité, et auxquels répond le plan actuel.
A court terme, il s’indiquerait d’adapter la capacité de production, l’effectif en personnel, les dépenses de fonctionnement et les coûts de structure à la nouvelle situation du marché.
Ensuite, il faut préserver la compétitivité par rapport aux concurrents et, enfin, améliorer les performances par l’optimisation et l’automatisation des process.
A moyen terme, l’entreprise entend assurer sa participation aux nouveaux programmes aéronautiques civils et militaires, qui seuls lui permettront d’assurer la continuation de ses activités.
Cet objectif est déjà en grande partie rempli puisque les contrats ne manquent pas.
A cet égard, je puis vous assurer les perspectives d’activité sont très encourageantes.
Outre la poursuite des anciens contrats, vous avez cité les nouveaux programmes : conception et réalisation des bords d’attaque des ailes ainsi que d’autres sous-ensembles pour les programmes A380 et A340 500/600 d’AIRBUS, pour les nouvelles familles de jets régionaux EMB 170/175 et 190/195 d’EMBRAER (4 contrats distincts), pour le Falcon 7X de DASSAULT et enfin participation importante au projet de transporteur militaire A 400 M, destiné à remplacer l’actuel C-130 Hercules.
Il faut naturellement réunir les moyens nécessaires pour financer ces nouveaux programmes, qui engendrent des investissements corporels et des coûts non récurrents (« Non Recurrent Costs » ou NRC) évalués depuis 2000 à quelques 230 M€.
Les NRC comprennent les frais de développement du bureau d’étude interne chargé de la conception des structures aéronautiques et des systèmes associés, qui présentent un haut degré de technicité (système de dégivrage des ailes, résistance aux impacts d’oiseaux, etc…), mais aussi la réalisation de prototypes, les tests au sol comme en vol, etc…
En ce qui concerne le programme Airbus, une convention conclue en 1992 entre les USA et l’Europe autorise le financement public de ces NRC sous forme d’avances récupérables, à concurrence de 33% maximum.
Le Gouvernement fédéral a dès lors accepté de prendre en charge ces frais dans ces limites pour le programme AIRBUS A380.
Malheureusement cette possibilité n’existe pas pour les autres programmes de la SONACA, qui a par contre introduit à la DGTRE une demande d’avance récupérable de 10 M€, étant donné le caractère innovant des systèmes développés pour le Falcon 7X.
Ce dossier est actuellement à l’étude au sein de mon administration et devrait être accueilli favorablement.
Outre ces financements publics (et les précédents apports régionaux), l’entreprise doit encore compter sur +/- 100 M€ d’emprunts bancaires, dont une grande partie est d’ores et déjà acquise, ce qui la mettra dans l’obligation de faire face à des remboursements importants et donc de dégager un cash flow annuel de l’ordre de 22 M€.
Pour y arriver dans la conjoncture actuelle, il faut commencer par prendre les mesures à court terme qui s’impose, dont l’adéquation des effectifs à la charge de travail.
La SONACA a connu une croissance importante ces 4 ou 5 dernières années, et occupe actuellement 1.700 personnes environ (1.000 en 1996…).
Comme vous le relevez, le plan vise à réduire l’effectif de 270 unités d’ici à 2005 (126 en 2003, 120 en 2004, 24 en 2005), soit 27 CDD non renouvelés, 73 prépensions et 170 licenciements.
Quant au chômage économique, il devrait culminer à 100 travailleurs en 2004, pour redescendre à 64 dès 2005.
Selon la direction, les projections sur la période 2003-2006 démontrent en effet que dès 2004 les besoins en effectifs directs de production chuteront de leur niveau actuel (+/- 870) à 600 ouvriers (sans compter une centaine d’effectifs indirects excédentaires).
Les divers départs et prépensions et le chômage économique ont donc été calculés pour couvrir ce différentiel.
La direction n’exclut toutefois pas la possibilité de revoir le second train de licenciements (84 personnes en 2004) en cas de reprise inattendue entre-temps.
Parallèlement aux réductions d’effectifs, d’autres mesures sont envisagées comme l’allongement du temps de travail pour passer de 35 à 38h semaine avec maintien de la rémunération, avec pour effet la diminution des taux horaires et donc la préservation de la marge et une meilleure résistance à la pression sur les prix évoquée supra, mais aussi l’amélioration de la position concurrentielle.
Dans la foulée, la diminution des heures supplémentaires, le passage à une seule pause et la diminution du personnel « loué » au bureau d’études y contribueront également.
L’allongement du temps de travail pourrait être remplacé par une diminution équivalente des rémunérations, selon le résultat des négociations avec les partenaires sociaux.
Une autre mesure envisagée est le gel complet des augmentations de masse salariale découlant des conventions sectorielles ou internes à l’entreprise, qui représenteraient pour 2003-2004 un accroissement de 8,86% pour les employés et 6,06% pour les ouvriers, trop lourds à assumer dans le contexte actuel.
Enfin, une série de mesures organisationnelles (pointage des temps de repas, réduction de l’absentéisme, réduction des coûts du travail par équipe, de la formation, des prestations syndicales…) doit assurer des économies substantielles à l’entreprise.
L’ensemble de ce plan est avant tout destiné à faire face à la crise actuelle.
Il est cohérent avec la position d’Agoria qui souligne également l’urgence pour les entreprises du secteur aéronautique et spatial de prendre des mesures pour assurer leur survie.
Mais il vise aussi à assurer la pérennité de la SONACA face à la concurrence nouvelle, pour préserver l’avenir et la qualité de l’aéronautique wallonne, dont les perspectives sont certaines si elle parvient à passer le cap actuel.
Même si la Région wallonne est actionnaire largement majoritaire de l’entreprise (par l’intermédiaire de WESPAVIA), la SONACA n’en reste pas moins une société commerciale, dotée d’un Conseil d’Administration qui a pris ses responsabilités face à une situation de crise.
Il n’appartient donc pas à la Région de s’immiscer dans le dialogue social à intervenir dans le cadre de la loi Renault.
Hormis l’étude du dossier introduit à la DGTRE, une aide directe de la Région serait, vous l’avez relevé, difficilement justifiable d’un point de vue européen.
Quant à l’idée d’une introduction en bourse, je n’exclus pas cette possibilité, tout comme l’ouverture du capital à d’autres investisseurs, mais il est évident que l’une ou l’autre solution peut difficilement être envisagée dans le contexte actuel de crise globale du secteur.
Je tiens encore à souligner qu’au sein d’un même secteur toutes les entreprises ne sont pas affectées de la même manière par la conjoncture défavorable exposée ci-avant.
Ainsi, une particularité de la SONACA est que ses contrats qui nécessitent actuellement le plus de main-d’œuvre (assemblage manuel de fuselages), passés avec EMBRAER, sont fort affectés par la crise et sont appelés à être progressivement remplacés grâce à la montée en puissance des nouveaux contrats technologiquement plus avancés, qui seront produits sur des chaînes davantage automatisées.
Ainsi, même au-delà de la crise conjoncturelle, le management est convaincu qu’une réduction d’effectif structurelle s’avère nécessaire, rendant des solutions d’aménagement temporaire du temps de travail, envisagées dans d’autres sociétés, inadéquates.
Pour conclure, je pense que dans un marché en pleine dépression les entreprises aéronautiques wallonnes comme la SONACA doivent, en tenant compte de leurs particularités respectives, relever ensemble le défi de la compétitivité pour pouvoir profiter par la suite des perspectives intéressantes qu’il est possible d’entrevoir à l’horizon 2006-7.