Parlement wallon

Questions écrites

     

 Questions du 18/09/00

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  La réintroduction du castor en wallonie.
Question à José Happart, Ministre de l’Agriculture, et de la Ruralité

Depuis quelque temps, le castor a été réintroduit en Région wallonne. Monsieur le Ministre pourrait-il me préciser si cette réintroduction a été autorisée par la Région wallonne et par qui elle a été opérée ? En cas de réintroduction non autorisée, je souhaiterais savoir si la Région wallonne a introduit une action en justice contre les auteurs et quels sont les résultats de cette action ? Les castors étant de toute façon présents aujourd'hui, Monsieur le Ministre peut-il me préciser où ils sont localisés, leur nombre approximatif, les dégâts éventuels dont ils seraient responsables et la manière dont la Région entend contrôler le développement de l'espèce à l'avenir?
Réponse du Ministre


En réponse à sa question, j'ai l'honneur de faire savoir à l'honorable Membre que le castor a disparu de Wallonie il y a moins de cent cinquante ans et est réapparu naturellement dans l'est du pays (vallée de la Ruhr) au cours de ces deux dernières années. Il est considéré par les scientifiques comme une espèce indigène. L' arrêté du Gouvernement wallon du 30mars 1983 est d'application pour cette espèce et il est notamment interdit de la détenir en captivité et d'en transporter des individus. Comme précisé à l'article 4 de l'arrêté précité, le Ministre qui a la Conservation de la nature dans ses attributions peut toutefois, après avis du Conseil supérieur wallon de la conservation de la nature, accorder des dérogations temporaires aux interdictions prévues dans l'arrêté. Ces dérogations doivent être justifiées par des motifs d'ordre scientifique ou éducatif, ou par la sauvegarde de l'intérêt général ou local. En date du 14 décembre 1997, un projet de réintroduction du castor dans la vallée du Viroin par l' association «Rangers-Castors» a été transmis pour approbation au Ministre en charge de la Conservation de la nature. Sur le projet de réintroduction du castor, dans la vallée du Viroin, proposé par les «Rangers-Castors», les avis du C.S.W.C.N. et du cantonnement se sont tous deux révélés défavorables sur la base de nombreux arguments. En résumé, il est apparu qu'une telle opération de réintroduction ne pouvait se faire de manière improvisée et nécessitait au préalable une étude scientifique solide permettant d'évaluer les sites offrant les plus grandes chances de survie à l'espèce tout en limitant les risques de dégâts occasionnés au voisinage. Il convient d'ajouter que le castor n'étant pas considéré comme une espèce fragile et vulnérable dont les populations sont menacées en Europe (il faudrait même en assurer la régulation dans certaines contrées), l'administration n'a pas estimé que sa réintroduction constituait une action prioritaire pour laquelle un investissement financier est souhaitable. En effet, dans le contexte d'une stratégie de conservation de la nature en Région wallonne, des plans d'action sont ou seront prioritairement établis pour des espèces vulnérables ou fragiles dont les populations sont menacées ou en voie de raréfaction, ou qui n'ont disparu que tout récemment ou dont le «retour> n'est plus possible sans intervention volontaire. Suite aux avis et considérations émis ci-dessus, l'opération de réintroduction du castor dans la vallée du Viroin n'a pas été autorisée (décision du 5 juin 1998). Aucune autorisation n'a été fournie depuis. En date du 5 octobre 1998, la presse a annoncé que les «Rangers-Castors» avaient procédé à un lâcher de castors dans la partie française de la vallée du Viroin, non loin de la frontière belge. M. Rubbers a affirmé, quelques semaines plus tard, qu'il n'y avait eu aucun lâcher de castors. Depuis près d'un an et demi, de nombreux procès- verbaux ont été dressés par les agents de la Division de la nature et des forêts, des auditions ont été réalisées, des contacts ont été pris avec la Région allemande d'où proviennent les castors, des informations précises sur le nombre, les dates et l'identité des personnes à qui ont été remis les castors ont été obtenues. Un procès-verbal a été transmis sur ce point au Parquet. Le dossier est toujours à l'instruction et fait l'objet d'une attention particulière de la Division de la nature et des forêts. En ce qui concerne la localisation, la situation actuelle laisse penser que des réintroductions sauvages se sont succédé en Région wallonne depuis l'automne 1998 jusqu'au printemps 2000. Les premières traces ont été décelées par le service territorial de la Division de la nature et des forêts de la région d'Houffalize (affluents de l'Ourthe occidentale) dès l'automne 1998 -en même temps que le groupe «Rangers-Castors» annonçait par voie de presse un lâcher de castors sur le Viroin à la frontière franco-belge -et la confirmation d'une présence de cette espèce fut mise en évidence. D'autres traces ont permis de confirmer l'espèce dans le bassin versant de la Houille, sur le site des étangs de Virelles, dans la vallée de l'Hermeton, ainsi que sur le fleuve Meuse en amont de Dinant (présence témoignée par les autorités françaises jusqu'en amont de Chooz). Chronologiquement, d'autres apparitions ont été confirmées ensuite sur l'Ourthe dans sa partie occidentale mais aussi en aval de Nisramont jusque Barvaux, y compris certains de ses affluents. Enfin, durant le printemps 2000, différents lâchers ont encore été effectués en Haute-Semois, notamment sur le territoire militaire de Lagland (Arlon), ainsi que sur quelques affluents à hauteur d'Habay. Simultanément, différentes observations permettaient de confirmer des lâchers récents dans le bassin de la Dyle jusqu'en Région flamande. Enfin, quelques vallées doivent faire l'objet d'observations plus approfondies afin d'évaluer tantôt une présence comme sur la Lienne, tantôt une suspicion de présence (différents cours d'eau et affluents potentiels). Pour évaluer la population en place et son impact sur l'environnement, la Division de la nature et des forêts a mis en place dès l'automne 1999 un groupe de travail spécifique au sein de l'administration. En ce qui concerne le nombre d'individus, il est hasardeux d'avancer un chiffre précis tant l' observation de ces animaux reste aléatoire.



Il n'existe d'ailleurs pas de méthode de dénombrement éprouvée. Il s'agit donc d'apprécier les différents territoires occupés par l'intensité de l'activité et le type de traces rencontrées. Par ailleurs, nous nous trouvons face à une population jeune dont les individus ont été le plus souvent lâchés seuls. Ces derniers constituent une partie flottante de la population qu'il est difficile de quantifier tant leur mobilité peut être grande. Au vu des différents éléments recueillis, ce serait pas moins de cent castors qui auraient été relâchés dans nos cours d'eau. Aucun pays européen n'a, à ce jour, pro- cédé à une campagne de réintroduction aussi massive, sans compter le caractère anarchique que celle-ci comporte pour notre Région. Certes, des pertes ont été enregistrées et notamment par collision avec des véhicules automobiles. Pas moins d'une dizaine de cas d'individus écrasés sont en effet connus. Afin d'apprécier au plus juste la distribution de l'espèce et d'évaluer la taille de sa population actuelle, une campagne de recensement sera organisée cet hiver dans l'ensemble du territoire de la Région wallonne. Cette opération sera coordonnée conjointement par la Division de la nature et des forêts et le Centre de recherche de la nature, des forêts et du bois. En ce qui concerne les dégâts, le castor occupe les différents sites à l'interface entre la berge et le cours d'eau, profitant de l'eau pour se déplacer et de la berge pour y trouver refuge et nourriture. Il peut occuper tout le réseau hydrographique, de la tête de bassin jusqu'au fleuve, y compris dans les étangs, mais reste inféodé au milieu aquatique ne s'écartant que très peu des berges (30 mètres maximum). Ses traces sont donc bien délimitées dans l'espace. Le castor peut néanmoins avoir un impact très important sur son environnement, tant par ses activités alimentaires que de construction. En général, le castor s'attaque à des essences ligneuses secondaires dont le développement contrarie souvent la mise en lumière du cours d'eau. Par contre, sachant que ses préférences alimentaires se portent vers les salicacées, on ne sera pas surpris de constater des dégâts dans des plantations de peupliers de fonds de vallée jouxtant de près le cours d'eau. Ces abattages peuvent être observés à tous les stades de croissance. De même, les arbres fruitiers et arbres d'ornement sont largement exposés. Les dégâts peuvent aller de la coupe de branches basses à l'abattage en passant par l' écorcement partiel ou complet du tronc. La mise en défens est relativement facile à mettre en place par pose de protections individuelles (corsets) ou globales. Des dégâts peuvent être également rencontrés occasionnellement en cultures agricoles (céréales, betteraves sucrières, maïs, choux. ..). D'autres dégâts peuvent également être recensés, tels que des entraves à la circulation sur les cours d'eau et des inondations de parcelles suite à l'abattage ou à la construction de barrages, des problèmes de digues dans les étangs et des affaissements de sol dans les parcelles agricoles par effondrement de galeries. A ce jour, les situations de dégâts recensées comme posant véritablement problème au point d'envisager une intervention sont faibles mais ne doivent pas être minimisées pour autant. Pour terminer ce chapitre des dégâts, il faut préciser que, depuis 1998, à l'instar de ce qui existait déjà pour les dégâts occasionnés par des espèces «gibier», la Région wallonne amis en place un régime d'indemnisation pour les dégâts occasionnés par des espèces protégées (arrêté du Gouvernement wallon du 8 octobre 1998 relatif à l'indemnisation des dom- mages causés par certaines espèces animales protégées). Par espèce protégée, il faut entendre pour le moment: héron, cormoran, loutre, blaireau et castor. Toutefois, le décret n'envisage l'indemnisation des dégâts que pour les seules personnes dont l'activité professionnelle est déclarée à titre principal. En ce qui concerne plus généralement la gestion de la présence du castor, en l'absence de prédateurs naturels, les populations de castors se développeront jusqu'à ce qu'elles trouvent leur limite par la capacité d'accueil du biotope. Au vu de l'urbanisation actuelle, des conflits entre l'homme et le castor apparaîtront indubitablement. Ses activités alimentaires et de construction rentreront localement en opposition avec les objectifs de gestion ou d'exploitation fixés. Même s'il faut relativiser cet impact en termes de dégâts, notamment par leur incidence financière comparée à d'autres espèces animales protégées ou comparée au gibier, il faut rester conscient de conflits potentiels. Ainsi, une démarche plus active devra être poursuivie en termes de gestion des dégâts en même temps que les activités humaines devront être adaptées dans les zones alluviales. Cette dernière démarche rejoint par ailleurs une volonté de la Région d'une meilleure gestion de ces zones. Les solutions envisageables dans un premier temps viseraient à une intervention sur place, telle la pose de buses au travers du barrage pour faire diminuer le niveau d'eau, voire au déplacement d'individus à problème si nécessaire. Il ne faut pas exclure d'emblée une régulation de la population à l'instar de ce qui se pratique déjà dans d'autres pays.