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Questions orales

     

 Questions du 24/05/05

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 Initiation à la musique dans l’enseignement...
Question orale de Monsieur le Député Philippe Fontaine à Madame la Ministre-Présidente Marie Aréna relative aux:
" Dispositions prises quant à l’initiation à la musique dans l’enseignement obligatoire"


Madame la Ministre-Présidente,
La renommée du Concours Reine Elisabeth n’est plus à faire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières.
Je pense que l’on peut affirmer qu’il s’agit là d’une véritable vitrine pour notre pays.
La faible représentation Belge dans ce concours nous amène à réfléchir à l’enseignement de la musique en Communauté française.
Il apparaîtrait que les jeunes arrivent trop tard au Conservatoire alors qu’ils devraient être pris en charge le plus tôt possible.
Ce point sera développé par ma Présidente de Groupe, Françoise Bertieaux, dans une interpellation qui vous est adressée ainsi qu’à votre collègue Marie-Dominique Simonet.
Mon propos concernera quant à lui l’enseignement obligatoire.
Commençons par le fondement : les professionnels considérant que les talents artistiques et notamment musicaux doivent être décelés, et travaillés, dès le plus jeune âge, pourriez-vous me dresser un inventaire des outils qui sont proposés aux enfants fréquentant l’enseignement maternel en Communauté française ?
Des cours d’initiation à la musique existent-ils ?
Des collaborations entre le monde scolaire et les acteurs culturels sont-elles organisées ?
Avec les Académies de musique, par exemple ?
D’après mes informations, certaines écoles proposent ce type de cours par le biais d’asbl privées et dont le coût serait entièrement supporté par les parents.
Ce qui restreint l’accès à ces cours à un nombre limité d’enfants.
Or, la pratique semble démontrer que l’ouverture dès le plus jeune âge à la musique notamment aurait une influence largement positive sur les résultats scolaires des élèves concernés.
N’y aurait-il pas lieu d’envisager comment étendre ces initiatives à l’ensemble de la population scolaire ?
Des accords avec les acteurs culturels et les établissements scolaires ne peuvent-ils être mis sur pied pour permettre un plus large accès à ces cours, et pour que leur prix ne constitue plus pour les parents un frein à l’inscription ?
De même, pourriez-vous, en ce qui concerne cette fois l’enseignement primaire et secondaire, me dresser la liste des possibilités qui s’offrent aux élèves faisant preuve d’un certain talent de pouvoir l’exercer au quotidien ?
A ma connaissance, il n’existe pas de pendant « artistique » des filières « sport-études » qui accueillent les jeunes sportifs de haut niveau.
Pourriez-vous m’en expliquer les raisons ?
Si je ne m’abuse, l’enseignement dit « artistique » s’adresse à tous les élèves, sans tenir compte de leur aptitude.
Si cela se vérifie, cet enseignement est-il adapté aux jeunes talents ?
Disposez-vous d’informations permettant de dire si les humanités artistiques répondent aux attentes de ces élèves ?
Le cas échéant, des aménagements ont-ils été étudiés pour mieux prendre en compte la réalité de ces jeunes, comme cela se fait pour les jeunes talents sportifs ?
Dans l’affirmative, cette solution prendrait-elle la forme de filières spécifiques comme la filière « sport-études » ou s’orienterait-on vers des aménagements particuliers dans les filières existantes ?
Je pense qu’il serait dommage de ne pas prendre en considération ces enfants qui peuvent encore, à l’heure des querelles communautaires, faire la fierté de tout un pays.

Je vous remercie.
Réponse de la Ministre Simonet (en l'absence de La Ministre-Présidente Arena),
Le MR s’était coupé en deux, le parlement s’est coupé en quatre et vous savez que, comme j’adore réunir les morceaux, je parlerai au nom de la ministre-présidente et en mon nom pour les compétences de chacune.

Je voudrais structurer ma réponse en trois temps. Je commencerai par une mise en perspective du sujet d’actualité, le Concours Reine Elisabeth. Je poursuivrai par une description des outils déjà mis en œuvre dans l’enseignement obligatoire pour accompagner les « jeunes talents », et par un rappel des initiatives de la Chapelle musicale Reine Élisabeth. Enfin, je terminerai par la question de la charge horaire des étudiants dans les conservatoires, soulevée par Mme Bertieaux, mais en tenant compte de l’intervention de Mme Derbaki Sbaï et de son expérience tout à fait intéressante.

Bien entendu, les questions que vous posez, madame et messieurs les députés, dépassent la présence de Belges ou de jeunes de notre Communauté dans un concours musical de haut niveau. Elles touchent à des problèmes aussi difficiles et divers que l’éveil à l’art et aux pratiques artistiques à l’école, les possibilités pour chacun de développer son potentiel propre et le rôle que notre communauté doit jouer dans le plan de développement personnel de chacun, l’adéquation de l’enseignement dispensé dans les écoles artistiques avec les réalités du secteur professionnel culturel, le soutien que la Communauté accorde aux jeunes artistes émergents, ou encore l’exiguïté du marché du disque en passant par le peu de prise de risques que peuvent se permettre les institutions culturelles dans leur programmation. Vaste débat !

Dès lors ma réponse ne pourra qu’être parcellaire et nul doute que certains des sujets qui ne pourraient pas être approfondis totalement aujourd’hui, quoique importants et intéressants, mériteront d’autres débats, ici et ailleurs.

La présence d’un jeune Belge au Concours Reine Elisabeth – nous pouvons nous en féliciter –, ayant effectué ses études en Communauté flamande, est un événement heureux qui, s’il permet à ce jeune d’arriver à un bon classement, ne manquera pas de redynamiser l’attrait de la musique classique auprès du grand public. Cependant, il faut tordre le cou à une idée reçue qui consisterait à dire que s’il n’y a pas de Belge en finale du concours, c’est que notre enseignement musical est mauvais. Rien n’est plus faux.

En effet, avec une population de 10 millions d’habitants, notre pays et encore moins notre Communauté ne peuvent produire un artiste de grand talent tous les ans. Chaque catégorie peut cependant être représentée, et nous nous en réjouissons. Par ailleurs, il faut souligner également que les deux instruments inscrits au programme depuis les débuts du concours, le piano et le violon, sont les instruments les plus pratiqués à haut niveau dans les conservatoires du monde entier. L’environnement est donc particulièrement concurrentiel pour ces deux disciplines. En outre, les excellents résultats obtenus par certains pays découlent de facteurs particuliers qui sont éminemment variables. À une certaine époque, l’école belge de violon était l’une des plus réputées, non du fait d’une structure d’enseignement particulièrement efficace, pertinente et ramifiée, mais plutôt grâce à la présence de maîtres charismatiques – comme Eugène Ysaye – qui à eux seuls créaient cette émulation exceptionnelle.

Nous remarquons ce phénomène dans d’autres disciplines, comme le tennis. Il en est de même pour l’ancienne Union soviétique qui en plus, possédait une population importante qui permettait sans doute de trouver plus d’individus avec des talents naturels exceptionnels. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que depuis quelques années, nos jeunes Belges, y compris francophones, obtiennent d’excellents résultats pendant le concours Reine Elisabeth de chant. Ce n’est pas encore le cocorico wallon que nous poussons, mais le tableau n’est pas aussi noir que pourrait le laisser croire une analyse superficielle de la situation.

J’aborderai maintenant le deuxième élément de cette réflexion, qui concerne plus particulièrement les compétences de ma collègue chargée de l’enseignement obligatoire, la ministre-présidente Marie Arena, qui répondra particulièrement aux aspects abordés avec beaucoup de profondeur par M. Fontaine et de manière plus succincte par Mme Bertieaux.

Les enjeux du débat soulevé par les questions des honorables membres ne sont pas seulement de détecter les jeunes talents, mais également d’éveiller dès le plus jeune âge tous les enfants aux arts. Cela s’inscrit dans les grands objectifs de l’éducation – une formation équilibrée concernant toutes les facettes de la personnalité – et plus particulièrement ceux visés par l’éducation artistique. Il s’agit de sensibiliser à toutes les formes d’expression, notamment en exerçant les perceptions auditives. Il s’agit aussi de faire acquérir des techniques permettant de se dépasser pour atteindre à la création. Cela relève d’activités obligatoires dès l’école maternelle, car elles sont reprises dans les socles de compétences. C’est au sein de ce vivier que peuvent se développer les futurs talents. Certaines collaborations sont organisées entre des écoles et des acteurs locaux. Actuellement, ces collaborations ne sont pas répertoriées, et je ne puis donc vous en dire davantage pour les différentes écoles. Le gouvernement a chargé la ministre-présidente et la ministre Laanan d’un travail de mise en cohérence du dispositif légal et réglementaire relatif aux activités culturelles dans l’enseignement. Ce nouveau dispositif aura pour objectif d’améliorer le dispositif existant afin de permettre un meilleur développement des relations et collaborations entre les acteurs culturels et les écoles, y compris celles de l’enseignement maternel.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les académies peuvent organiser, dans chacun des domaines d’enseignement, des classes préparatoires ou d’initiation artistique telles que des cours de formations musicales ou instrumentales accessibles aux enfants âgés de cinq ans. La gratuité des cours des académies est garantie jusqu’à l’âge de douze ans. Au-delà de cet âge, il existe de nombreuses dispenses au droit d’inscription. Il n’y a, dès lors, que très peu ou pas de frein financier à l’accès à ces formations.

L’initiative de prolongation du cycle de perfectionnement dans les académies accessible aux jeunes talents qui se destinent au conservatoire a été concrétisée par l’ajout de deux années supplémentaires à la filière de transition. Actuellement, six académies profitent de cette opportunité pour les cours de piano, de violon et de violoncelle. Sur un plan plus général, le contrat stratégique pour l’éducation veut promouvoir le développement d’initiatives permettant à chaque enfant de bénéficier des mêmes possibilités d’accès à la culture et à la pratique des arts. Il prévoit d’assurer une offre d’animation adaptée dans le cadre d’un contrat éducatif, notamment entre les écoles, les associations culturelles et l’enseignement secondaire artistique à horaire réduit. Il prévoit également de développer des expériences pilotes de collaboration structurelle entre les écoles et les associations culturelles ou artistiques et de favoriser la rencontre avec des artistes afin d’apprécier les enjeux de l’art et de confronter les élèves à des productions artistiques diverses.

Cela étant, il n’existe effectivement pas de pendant « artistique » à la filière « sport-étude ». Les humanités artistiques sont les plus proches de ce concept. Elles s’inscrivent dans une formation mixte. Quelques établissements d’enseignement secondaire de la filière technique de transition sont structurés de manière à permettre aux élèves intéressés par la musique, la danse ou les arts de la parole de suivre la formation commune dans leur structure de base et de suivre simultanément la formation artistique dans une académie d’enseignement artistique à horaire réduit. L’élève accède aux humanités artistiques sur la base d’un test d’admission, de manière à pouvoir s’assurer qu’il dispose bien des aptitudes requises pour s’engager dans ces études. Une évaluation des humanités artistiques est actuellement en cours.

De même, une évaluation globale de l’enseignement secondaire artistique à horaire réduit a été initiée depuis la réforme de ce secteur. Ces évaluations sont un préalable nécessaire à toute réflexion sur l’enseignement des arts dans l’enseignement obligatoire en Communauté française.

Dans l’attente de solutions différentes ou plus structurelles, le gouvernement précédent a décidé de soutenir la chapelle musicale Reine Élisabeth pour favoriser la formation de jeunes talents mais aussi pour offrir un cycle de perfectionnement aux jeunes sortis des conservatoires. Mme Derbaki a fait état de ses craintes en ce qui concerne la modification du décret. Je suis d’accord avec ses propos. En ce qui concerne les formations de jeunes talents dans la chapelle musicale Reine Élisabeth, il existe cinq formations : la formation pour les enfants âgés de huit à quinze ans, des cycles de perfectionnement pour les jeunes âgés de 16 à 22 ans et un master after master, c’est-à-dire une formation exceptionnelle à la chapelle musicale pour les plus talentueux. Je reviendrai tout à l’heure sur les chiffres dont je dispose.

Le programme est en place. Il produit ses premiers fruits. Je vous rassure, lorsqu’un jeune étudiant de la Chapelle désire passer du cycle préparatoire au cycle de perfectionnement, c’est tout à fait possible. Ainsi, un jeune francophone issu de la Chapelle avait suivi ce parcours et s’était également présenté au concours. Il a eu nettement moins de chance que son collègue néerlandophone, mais vu son jeune âge, on est en droit d’espérer qu’au prochain concours, il nous réservera de belles surprises. L’aide que la Communauté française octroie à la Chapelle permet non seulement de prendre en charge les jeunes de notre communauté inscrits en piano, en violon, mais également dans le cycle de chant sous l’égide de José Van Dam. Les discussions sont en cours entre mon cabinet et les responsables de la Chapelle pour examiner de quelle manière les cours donnés par les enseignants de toute grande qualité qui professent à la Chapelle pourraient également profiter aux étudiants de nos conservatoires de musique, notamment par le biais de master-classes.

Pour l’année 2004-2005, sur les 22 étudiants de la Chapelle, sept sont issus de la Communauté française, six de la Communauté flamande et neuf sont étrangers. On peut estimer, au vu des derniers résultats de la Chapelle, que le programme de celle-ci a démontré une réelle pertinence. Il conviendra de procéder à d’autres évaluations, car la formation des jeunes talents comme des jeunes sportifs ne peut s’envisager que dans un laps de temps assez long.

J’en viens à la question posée plus particulièrement sur la qualité de l’enseignement dispensé dans nos conservatoires. Il s’agit, en résumé, de savoir si nous formons encore de véritables artistes ou plutôt des « généralistes », ou encore des futurs enseignants. La question n’est pas facile, car s’il est vrai que les étudiants qui sortent de nos conservatoires doivent être des artistes complets – non seulement virtuoses mais humanistes – ayant une vision de l’art qu’ils pratiquent, de ce que devrait être la société et de ce que l’art peut y apporter, nous ne pouvons leur mentir : la situation du marché artistique, particulièrement celle de la musique classique, est de plus en plus difficile. Nous ne pouvons plus faire sortir des jeunes de nos établissements sans les armer suffisamment. Les artistes d’aujourd’hui doivent souvent cumuler plusieurs fonctions : ils peuvent être comptable le matin, gestionnaire, administrateur, spécialiste du droit social, attaché de presse ou publicitaire, l’après-midi, et devoir en même temps travailler leur instrument. Il est donc indispensable de leur donner une seule formation pratique et théorique qui leur permette, malgré ce marché difficile, d’être entreprenant, innovant, de créer des niches d’activités, d’autres produits artistiques ou d’autres concepts.

Qui aurait cru, avant les Folles journées de Nantes, par exemple, que l’on pouvait réunir des dizaines de milliers de personnes dans une halle des foires pour écouter uniquement de la musique classique, trois journées d’affilée ? Personne ! Personne n’aurait misé ! Or, ce fut une réussite. C’est pourquoi il faut pousser nos jeunes artistes à être audacieux, tout en leur donnant les outils pour ce faire.

Si nous sommes d’accord de ne pas remettre ce sain principe en cause, une autre question se pose : sommes-nous allés trop loin ? Une fois encore, il n’est pas aisé de répondre. Le décret de 1999 permet un horaire de seize heures par semaine pour les instrumentistes. Instrumentaliser les instrumentistes, vous l’avez dit ! Le gouvernement précédent n’est pas allé plus loin. Une bonne partie de ces seize heures étaient et restent consacrées aux cours purement musicaux. Notons d’ailleurs que les actuels programmes de cours ont été fixés avec le concours du Conseil supérieur de l’enseignement supérieur artistique, où siègent des représentants des trois conservatoires, ainsi qu’avec les unions de professeurs de ces établissements et que, jusqu’à présent, ni mon prédécesseur ni moi-même n’avons reçu de réclamations ou de demandes d’aménagement de cette situation. Une latitude très importante sur l’organisation des cours est laissée aux établissements : au niveau de la présence obligatoire ou non des étudiants, à la possibilité de concentrer certaines activités d’enseignement sur de très brèves périodes pour libérer des périodes moins chargées. Est-ce une simple question d’organisation interne ? Oui, sans doute, mais à la décharge des établissements, les conservatoires ont dû continuer à assurer, jusqu’à cette année encore, les deux systèmes de formation, l’ancien et le nouveau. Sans doute n’ont-ils pas pu procéder de fait à tous les aménagements internes qui auraient permis de libérer des plages horaires larges consacrées au travail de l’instrument. Avant toute conclusion hâtive, il est nécessaire de laisser le système s’organiser une année au moins, sans la contrainte de la coexistence des deux systèmes fondamentalement différents, afin d’observer comment les établissements arrivent à concilier les réels impératifs des deux récents décrets.

Réplique de Philippe Fontaine,
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse qui atteste de votre intérêt pour cette question.
Cependant, je suis néanmoins un peu déçu. En ce qui concerne l’enseignement maternel, vous nous avez dit que les socles de compétences prévoyaient des activités artistiques. Est-ce effectivement réalisé dans les écoles ? Il n’existe en tout cas aucune donnée statistique attestant d’une collaboration entre les écoles et les acteurs culturels concernés. On ne peut donc se faire une idée de ce qui est réalisé au niveau de l’enseignement maternel. Le fait que ces activités soient inscrites dans les textes constitue un point positif, mais je préférerais voir des faits concrets.

Pour le reste, vous nous avez effectivement parlé du contenu du contrat stratégique pour l’éducation. Pour ma part, ce contrat, je voudrais le voir mis en application ! Comme en atteste l’intervention de Mme la ministre Laanan dans un autre domaine, nous sommes toujours confrontés au même type de réponse mais nous souhaiterions maintenant un peu plus de mesures concrètes.

En ce qui concerne le projet d’ouverture de sections « musique-études » – véritable pendant aux humanités sportives – il faudrait, pour citer Mme Bertieaux, «le mettre en œuvre sans attendre qu’une ou deux générations de futurs artistes ne soient gâchées ».

Pour ce qui est de l’évaluation artistique, je voudrais aussi des mesures concrètes. J’entends souvent dans cet hémicycle la promesse d’évaluer beaucoup de choses, mais encore faut-il donner suite à ces promesses car nous ne pouvons nous en contenter indéfiniment.
À un moment donné, il faut agir.